[EN] I was surprised that the first newspaper I randomly opened started with this piece paying a vibrant homage to Paul Kruger, president of South Africa, as the same time as it hits on the eternal vile nature of English barbarians. The newspaper is subtitled “organe de défense sociale” and was published in Toulouse.
GLORIA VICTIS
Tout là-bas, bien loin, au fond de l’Afrique australe, un peuple lutte depuis de longs mois et défend son indépendance avec une énergie farouche, un courage suprême.
Et nous suivons avec angoisse les efforts de cette poignée de vaillants qui meurent en héros et dont chaque dernier soupir est un cri de triomphe, un chant de victoire, car les envahisseurs paient cher chacun de leurs rares succès.
Ils ont d’ailleurs ignobles, nos ennemis séculaires, et leur conduite, dans cette guerre de pillards, de vandales et de bandits n’est pas digne d’une nation civilisée.
Ils le sont même à tel point qu’un des journaux les plus autorisés et les plus répandus d’outre-Manche les qualifie de la façon suivante :
« Ceux qui ont voulu qu’on fasse la guerre pour porter la civilisation dans le Sud de l’Afrique déclarent que le moyen de soumettre un Boër consiste à frapper sa mère, sa femme et ses enfants. C’est, dit-on, le seul moyen pour agir sur les généraux des deux Républiques. Mais cela n’augmente-t-il pas plutôt, chez les Burghers, la détermination de tout souffrir plutôt que de se rendre à ceux qui exercent des traitements indignes sur des êtres faibles ? »
Nous n’inventons pas, nous citons, au contraire, textuellement, et tout le monde trouvera avec nous les procédés anglais inqualifiables et abominables.
D’ailleurs, ce peuple aux appétits insatiables, ce peuple qui voudrait être le seul grand peuple au monde n’en est pas à son coup d’essai, et les annales douloureuses de notre histoire ont eu à enregistrer combien féroces furent, à notre égard, les procédés anglais.
Et sans remonter à Jeanne d’Arc, il est bon de rappeler le sort horrible de nos marins qui ont gémi sur leurs pontons de Londres et de Douvres ; il est bon de se souvenir du grand vaincu dont l’ombre immortelle plane à travers les siècles sur cet îlot désert de l’Océan, où le général Kronje, ce Vercingétorix des temps modernes, rêve du temps où, à la tête de ses commandos, il accomplissait des prouesses dignes des temps antiques.
Il y eut, en effet, un moment de stupeur lorsqu’on apprit, en France, que ce vaillant, après plusieurs jours d’héroïques combats, alors que sans munitions et voyant tous les siens fauchés par les dum-dum anglaises avait été obligé de mettre bas les armes.
Aujourd’hui, et malgré le nombre écrasant des fils d’Albion, une poignée de braves, sous les ordres des Delarey, des Botha, des De Wet, résiste encore avec le courage du désespoir.
Et j’admire ce peuple qui préfère s’ensevelir sous les ruines fumantes de ses dernières villes plutôt que de se rendre.
En France, cette terre classique de tous les dévouements, nous aimons tout ce qui est grand, noble, généreux.
Nos sympathies allèrent toujours vers les faibles, les opprimés.
Et c’est pourquoi nous saluons respectueusement ces héros et ces fiers vaincus.
C’est pourquoi lorsque viendra le chef de ce petit peuple, le président Krüger, dont l’âme si fortement trempée sut enflammer le courage de ses Burghers aux jours de découragement et de sombre désespérance, tous les vrais fils de France (nous ne parlons pas de quelques sans patrie) s’inclineront devant ce brave.
La France républicaine est, en effet, trop avide de justice et de vérité ; son âme vaillante palpite trop à la pensée du droit écrasé par la force pour qu’elle ne trouve pas, dans le souvenir de l’année néfaste, les motifs de faire un solennel accueil au Président Krüger.
Sur son passage, tous les fronts se découvriront avec respect. On saluera en lui une noble cause, trahie par la fortune des batailles, à la suite d’une lutte dont l’issue était rendue inévitable par la supériorité du nombre et de l’armement.
Mais pas d’acclamations bruyantes, pas de vivats enthousiastes.
Notre pays, qui pousse si loin la délicatesse des sentiments, ne saurait oublier certainement que le Président Krüger est la personnification vivante, l’image éplorée d’une infortune nationale dont le deuil serait justement offensé par des acclamations ayant un caractère joyeux.
Et malgré moi, les beaux vers de Manuel, dans son Codicille de Maître Moser, me reviennent à la mémoire.
Je veux être enterré dans un coin ; de la terre
Et rien de plus. Mon nom gravé sans commentaire…
Pas de nom sur le sol qui doit me recouvrir !
Le tombeau des vaincus n’est pas fait pour fleurir.
Non, pas de fleurs ; pas de bravos, mais un silence respectueux et digne, le salut fraternel d’un peuple de vaincus et de héros à un autre peuple de héros et de vaincus.
Félix-Antonin Lavat